Pourquoi les punitions sont-elles inefficaces ?

Par Marie Laumuno 16 Jui 2022
Pourquoi les punitions sont-elles inefficaces ?

Pourquoi les punitions sont-elles inefficaces ?

 

“Les punitions, ça ne lui fait plus rien!”

J'entends souvent ce genre de phrases dans les groupes de parents d’ados. 

Tant que les enfants sont petits, on ne se rend pas bien compte des effets néfastes des punitions. Souvent, les enfants n’ont pas d’autre choix que de se soumettre, mais à quel prix?

Parfois, ce sera pour faire plaisir à ses parents. D’autres fois ce sera la peur, la peur de perdre l’amour de ses parents car c’est un besoin vital pour un enfant que d’être aimé par ses parents.

Arrivés à l’adolescence, parfois même avant pour certains enfants, ils deviennent insensibles. Ils sont de plus en plus durs, ils se créent comme une sorte de carapace pour ne plus être atteints.

Quelles sont les raisons d’un tel comportement ? 

Pour commencer j’aimerais revenir sur la définition de “punition” : “action de punir, d’infliger un châtiment, une peine “ [1], “action de punir, d’infliger une privation, de faire subir une peine pour une faute commise…” [2]

C’est aussi une “peine infligée pour un manquement au règlement, en particulier à un élève, à un militaire “ et “ un accident ou malheur qui paraît être la conséquence d’une faute” (Larousse).

Dans toutes ces définitions, le but est bien de “faire payer le coupable” pour la faute commise : cela ne prend pas en compte l’enfant, son degré de maturité, son développement, ses capacités, ses besoins. 

Je vous entends dire “non mais on ne va pas laisser les enfants faire ce qu’ils veulent!” Est-ce que lorsque l’on punit son enfant, il finit par faire ce que l’on veut? Si oui, quelles sont les conséquences sur l’enfant, et sur sa relation avec l’adulte ? Qu’est-ce qui fait que les enfants coopèrent?

C’est à ces questions que je vais tenter de répondre.

Un rapport de domination-soumission entretenu

Les punitions font partie des VEO : les Violences Éducatives Ordinaires. Il s’agit de toutes les méthodes utilisées comme méthodes éducatives. Elles sont banalisées et acceptées par un grand nombre de personnes. 

Dans les VEO, il y a un rapport de domination-soumission qui fait que les droits des enfants ne sont pas respectés comme ceux de n’importe quel individu : c’est l’adulte qui impose et utilise toutes sortes de stratagèmes pour obtenir l’obéissance de l’enfant comme les coups, le chantage, les menaces, les humiliations, les dévalorisations, les insultes, les punitions et autres manipulations…

Ce même rapport délétère dans toutes les relations humaines où certains se sentent supérieurs à d’autres et/ou abusent de leur “pouvoir” (supérieur hiérarchique, inégalité hommes-femmes, racisme, harcèlement…) ; un mal bien ancré dans notre société.

L'enfant a-t-il les capacités d’obéir?

J’ai observé une maman dernièrement, l’enfant semblait  vouloir quelque chose qui était dans un sac. La mère ne voulait pas qu’il y touche. “Arrête! Je t’ai dit de ne pas toucher! Arrête!” La tape est partie sur la main de cet enfant de 2 ans qui, visiblement, avait contrarié sa maman. Il s’est mis à pleurer et pour seule consolation, la maman lui a tiré le bras, lui ordonnant de la regarder dans les yeux et lui a dit de ne plus jamais recommencer…

Cette situation est très fréquente mais qu’est-ce qui fait qu’il n’a pas écouté sa mère ?

  • Immaturité cérébrale

Le cerveau de l’enfant n’est pas mature comme celui de l’adulte. Saviez-vous que la partie qui permet d’inhiber un comportement fait partie du cortex pré-frontal et qu’elle sera mature vers 25-27 ans. C’est aussi là que se fait la régulation émotionnelle, l'anticipation, le raisonnement, la prise de décision. C’est le siège des fonctions cognitives supérieures, fondamentales pour les apprentissages.

Les zones cérébrales qui concernent la compréhension, le langage et l’inhibition ne sont pas situées au même endroit. Pour un enfant qui parle, il va être capable de répéter ce que vous lui avez dit, d'acquiescer…mais s'empêcher de faire quelque chose n’est pas situé dans la même zone du cerveau. Donc il peut comprendre, répéter mais pas forcément inhiber.

  • Pourquoi certains écoutent et d’autres non?

“Moi, mon enfant il m’obéit. Il écoute quand je lui dis de ne pas faire quelque chose.”

Il arrive effectivement que l’enfant “écoute” son parent. 

Dans son livre “Parentalité Affirmée, et si le capitaine du navire familial, c’était vous ?” Charlotte Uvira nous explique que pour des raisons qui ne sont pas clairement définies, dans une même situation, deux enfants ne vont pas réagir de la même façon.

Dans le cas de ce petit garçon, si sa motivation première était de faire plaisir à sa mère, il aurait pu obéir et ne pas toucher le sac. Seulement là, cela n’a pas été le cas. Probablement, sa motivation était d’obtenir quelque chose qui était à l’intérieur de ce sac (qui semblait être le sien), mais il ne pouvait pas s'en empêcher, du fait de son immaturité cérébrale. Il n’a pas accès à ce contrôle inhibiteur.[3]

Ce qui explique qu’en fonction de sa motivation, du besoin qui doit être satisfait, l'enfant ne sera pas capable d’inhiber son comportement.

  • La peur 

En faisant peur à l'enfant, en le menaçant, on fait en sorte que les enfants craignent les adultes. Lorsqu'ils crient, menacent ou punissent les adultes humilient l'enfant qui a peur de perdre l'affection de ses parents et cela le terrorise. En raison de cette violence répétée, l'enfant va perdre confiance progressivement...[4]

Sachant cela, il est évident que punir l’enfant ne sert à rien, pour un comportement qu’il ne peut pas inhiber. 

Pourtant, les punitions sont toujours de mise. Notamment en milieu scolaire où, bien souvent, c’est l’escalade. Devant des élèves qui continuent à avoir des comportements dits "inappropriés", allant parfois, jusqu’à l’exclusion définitive pour des faits graves, ou parce qu’on ne sait plus quoi faire pour ces élèves….

De nombreuses études et recherches ont prouvé que les punitions étaient délétères pour le développement de l'enfant. Elles ne lui permettent pas de comprendre, ni de s'autoréguler. Dès que “le chat n’est pas là, les souris dansent”; l’enfant se comporte bien mais dès que l'adulte est absent, les règles sont bafouées. C’est comme si on mettait un couvercle sur des comportements et qu’à la moindre occasion ce couvercle sautait.

 

Quelles sont les conséquences des punitions?

  • Une perte de confiance

Au-delà, du fait que les punitions apprennent à l’enfant le rapport de force, de domination que l’adulte exerce sur lui, l’enfant perd la confiance envers l’adulte qui s’occupe de lui.  Il ne se sent pas respecté et ressent de la colère envers celui-ci. 

Dans ces conditions, il apprend à obéir à l’adulte par crainte des conséquences, ce qui le poussera à avoir des comportements inadaptés pour échapper à la punition.

  • Objectifs inconscients de l'enfant 

En discipline positive, Jane Nelsen nous parle des réactions inconscientes que cela provoque chez l’enfant telles que : 

    - la rancœur, « C’est pas juste. Je ne peux pas faire confiance aux adultes », 

    - la rébellion, « Je vais faire exactement l’inverse pour leur prouver qu’ils ne peuvent pas m’obliger à faire ce qu’ils veulent. »

    - le retrait (dissimulation), « La prochaine fois je ne me ferai pas prendre. » (Baisse de l’estime personnelle : « je ne vaux rien. »)

    - la revanche, « Bon, là, c’est eux qui gagnent, mais je les aurai la prochaine fois. » [5]

L’enfant se sentant humilié, rabaissé n’a pas du tout envie de coopérer ou de mieux faire. Il a envie de faire semblant pour échapper à la punition, de se venger ou de faire plaisir. Il est motivé par des sentiments négatifs qui ne lui permettent pas d’intégrer les valeurs positives que les adultes souhaitent qu’il acquiert pour sa vie d’adulte. 

  • Une accumulation néfaste du stress

Ajouté à cela, il y a le stress que les punitions engendrent sur l'enfant. En effet, quand l’enfant a peur, qu’il est en colère, angoissé ou triste, cela provoque la sécrétion d’hormones (l'adrénaline, la noradrénaline et le cortisol) qui, à un taux normal permet à l'enfant d’être plein d’énergie. 

À doses répétées et élevées, cet excès d’hormones envahit le corps qui se met alors en hyper vigilance. Tout ceci met l'enfant dans un état constant  de colère et/ou d’angoisse prêt à attaquer, fuir ou à se replier [6]. Le cerveau se met alors en mode “survie” : attaque, fuite, ou figement. 

Cet état constant explique des modifications psychologiques et comportementales importantes, amenant l’enfant à vivre les autres comme une menace persistante et perd ainsi totalement confiance en lui, et en les autres [7]

Si l’enfant est inhibé ou fuit, il peut être amené à se sentir déprimé, à se soumettre par peur, et à s’isoler. S’il attaque, il risque d’être agressif, sur la défensive et d’être en conflit en permanence. 

On comprend alors très bien ce qui se passe pour certains adolescents qui sont complètement asociaux, en lutte constante envers les adultes, et même envers ceux qui essayent et qui veulent les aider.

  • Une altération du développement cérébral

De plus, le stress va empêcher le développement optimal du cerveau de l’enfant qui est en construction. Le stress provoque la destruction des neurones [8]. Les connexions neuronales ne se font pas correctement. Certaines structures fondamentales qui ont un rôle dans la mémoire, l’apprentissage, la régulation des émotions, l'attention, le plaisir, la motivation, le sommeil, l’humeur, le contrôle de l’anxiété… auront du mal à fonctionner de façon optimale.

Cet état de stress empêche donc l’enfant de mobiliser toutes ses ressources cérébrales, notamment, ce qui défavorise les apprentissages et a donc un impact sur sa scolarité

 

 

Parentalité = laxisme ?

A ce moment-là, ce dont a besoin l’enfant pour se calmer et retrouver un état de bien-être, c’est justement ce qu’on ne donne absolument pas aux enfants les plus difficiles : de l’amour, de l’affection.

On pense à tort, que seuls les bons comportements nécessitent une attention positive de l’adulte, or comme le dit si bien Isabelle Filliozat “l’amour n’est pas une récompense, c’est un carburant”. 

Dans le même principe où l'enfant ne peut inhiber un comportement, s’il a besoin d'affection et d'attention il fera tout pour l’obtenir, même si c’est en étant réprimandé par l’adulte, qui à ce moment-là, sera présent pour lui bien malgré lui en apportant de l’attention à l’enfant.

Lorsque l’on parle de parentalité positive, beaucoup de personnes font un amalgame avec le laxisme. Or dans la parentalité positive, c’est le lien qui est privilégié, la connexion, l’empathie, une relation chaleureuse avec son enfant dans le respect. 

En parentalité positive, on ne fait pas peur à son enfant, on ne le menace pas car on sait que cela a des conséquences dramatiques sur son cerveau et sa confiance en nous. L’enfant se déconnecte de ce qu’il ressent, de ses émotions pour faire en fonction de l’adulte. Et c’est cette déconnexion qui est responsable de ce manque d’empathie envers les autres ensuite (harcèlement, violences…).

En parentalité positive, on reste en lien avec son enfant malgré son comportement et on utilise des outils qui vont lui permettre de réfléchir aux conséquences, de trouver des solutions par lui-même afin de réparer si possible. 

En parentalité positive, il y a un cadre qui est établi, connu et respecté par tous les membres de la famille.

En parentalité positive, on sait que derrière la répétition de ces comportements inappropriés, il y a un besoin qui n’est pas satisfait. Alors au-delà de ce comportement, on cherche à savoir de quoi son enfant a besoin et on y répond de manière adaptée.

Lorsque nous aurons intégré que les comportements inappropriés de nos enfants ne sont que les résultats de toutes les actions que nous avons mises en place pour faire en sorte que les enfants nous écoutent, nous aurons compris que nous ne sommes absolument pas sur le bon chemin et que nous en sommes tous responsables. 

Je pense que changer de regard sur l’enfant, l’utilisation des punitions et plus largement les VEO, aurait un impact beaucoup plus positif et efficace sur la société entière.

Marie Laumuno

[1] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/punition/65100

[2] https://www.cnrtl.fr/definition/punition

[3] UVIRA C. Parentalité affirmée, et si le capitaine du navire c’était vous?, Happyologie, p. 141-142

[4] GUEGUEN C., Pour une enfance heureuse, repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau, pocket, p.272-273

[5] NELSEN J., La Discipline Positive, en famille, à l’école, comment éduquer avec fermeté et bienveillance, poche Marabout, 2018, p.32-33

[6] GUEGUEN C., Pour une enfance heureuse, repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau, pocket, p.162-163

[7] Ibid, p.164-165

[8] Ibid, p.166-168