Attachement et scolarité : quel est le lien ?

Par Marie Laumuno 26 Mar 2022
Attachement et scolarité : quel est le lien ?

Savez-vous ce qu'est l'attachement ?

J’ai pu en apprendre plus sur cette notion depuis que je me suis tournée vers une parentalité positive, plus consciente. Elle a pris encore plus de sens depuis que je travaille en milieu scolaire, auprès d’enfants et d'adolescents. 

J’aimerais partager avec vous cette notion et vous expliquer en quoi l'attachement est fondamental, et surtout, quel est le lien dans la relation enseignant-élève et de ce fait, la scolarité.

 

La théorie de l’attachement 

La théorie de l'attachement a été développée aux États-Unis par John Bowlby, psychiatre anglais et affinée par ses proches collaboratrices Mary Ainsworth puis Mary Main dans les années 60. 

Selon John Bowlby, pour se développer de façon harmonieuse tous les êtres humains ont besoin d'avoir des liens affectueux avec au moins une personne qui prend soin de lui et le protège de façon cohérente et constante. Cette personne représente la figure d'attachement primaire qui est la base de sécurité affective vers laquelle l'enfant se tourne en cas de détresse. Le rôle de l'adulte est de répondre à ce besoin de protection.

L'attachement est un besoin vital pour tout être humain : se sentir compris, aimé et protégé.

Mais qu'est-ce que cela signifie ?

Nous avons tous besoin de nous sentir : 

  • compris par notre figure d'attachement principale, qui va comprendre et répondre à nos besoins de façon cohérente et constante, elle perçoit notre vie intérieure derrière notre comportement,
  • protégé, c'est-à-dire d'être à l’abri de tout danger et ne pas avoir peur de l’adulte qui s'occupe de nous ; 
  • réconforté, lorsque la figure d'attachement vient soulager notre angoisse ou notre souffrance.

 

Tout cela donne un sentiment global de sécurité intérieure dans la relation. (Daniel Siegel, Le cerveau de votre adolescent, comment il se transforme de 12 à 24 ans)

Lorsque ces besoins sont satisfaits, l’enfant recherche la proximité physique et affective de sa figure d’attachement, qui lui apporte apaisement et réconfort puis, progressivement la force et le désir d’explorer le monde qui l’entoure. 

Il y a toujours une figure d'attachement principale. Dans la majorité des cas, il s'agit de la mère. Plusieurs autres figures secondaires peuvent prendre le relais quand la première est absente (le père, la grand-mère, la nourrice...).

Différents styles d'attachement ont été mis en évidence par Mary Ainsworth lors d’une expérience réalisée, qu’elle a nommé “La situation étrange”.

Il y a : 

  • les modèles sécurisants qui nous apportent de la souplesse d'esprit, une bonne compréhension de soi et un bon sens relationnel,
  • Les modèles insécurisants se présentent sous plusieurs formes et entravent, chacun à sa manière, la capacité d'adaptation, la compréhension de soi et le lien aux autres. 

 

Les différents styles d'attachement 

L’expérience de “la situation étrange” consiste à observer un enfant âgé de 12 mois, dans une pièce avec sa figure d’attachement (la mère le plus souvent). Une succession de séparations et de retrouvailles avec la mère a lieu. 

Dans un même temps, une personne étrangère est introduite dans la pièce. On observe ensuite les comportements  de l’enfant suite au stress de cette séparation. Les comportements de chacun apporteront des éléments particuliers, qui ont permis de mettre en évidence 4 catégories.

 

  1. Sécurisé (environ 60% des personnes)

Lorsque l’enfant est séparé de sa figure d'attachement, il proteste à son départ. Il est soulagé lorsqu’il la retrouve et recherche sa proximité afin de trouver du réconfort. Ensuite, il retourne explorer la pièce. La figure d'attachement répond aux signaux émotionnels et surtout, ceux de détresse de façon adaptée et constante. L’enfant se sent protégé. Il active son système d’attachement uniquement en cas d’absence de l’adulte. 

  • En milieu scolaire

Mes émotions sont bien régulées et mentalisées. La nouveauté me stimule et je suis prêt pour les apprentissages et les tâches scolaires. Si je n'arrive pas à effectuer l’exercice demandé, je solliciterai l’aide de mon enseignant et j'écouterai ses explications. Ainsi, je réussirai ma tâche. Cela me permettra de développer un sentiment d'efficacité qui me donnera confiance en moi.

  • Ce modèle sécurisant permet de réguler ses émotions, de comprendre qui je suis et de nouer des relations mutuellement gratifiantes avec les autres.

 

2.   Évitant (environ 20%)

Dans cette situation, l'enfant ne semble ni affecté par le départ du parent ni par son retour. Les demandes de l'enfant sont accueillies par de l’indifférence, du rejet ou de l’agressivité. L’enfant montre de l'indifférence ou de la colère lorsque l’adulte revient. Le système d'attachement est inhibé : il l'évite au lieu de chercher à être réconforté par lui. Il ne manifeste pas de détresse ou de recherche de contact. Il peut ne pas montrer d'inquiétude lors du départ de la mère, faisant mine de continuer à jouer lorsqu'elle revient.(Raphaële Miljkovitch, Janvier 2017, La théorie de l’attachement John Bowlby et Mary Ainsworth)

  • En milieu scolaire

"Lorsque je n’arrive pas à effectuer la tâche scolaire, je vais me tenir à distance de mon enseignant que je ne trouve pas rassurant. Je me concentre uniquement sur l’exercice, même si je bute, je contrôle mes émotions négatives. À aucun moment je ne demanderai de l’aide à mon enseignant." (Christel Jerez, Août 2019, L’influence du lien d'attachement sur la réussite scolaire)

  • Dans ce modèle, je me sens déconnecté des personnes qui me sont proches, mais aussi de mes propres émotions et besoins.

 

3.  Anxieux ou ambivalent (environ 10% des personnes)

Quand l’adulte quitte la pièce, l'enfant montre de l'anxiété. Il ne se calme pas malgré le retour du parent : le système d’attachement est “hyperactivé”. 

La figure d'attachement a des réactions imprévisibles lorsque l'enfant montre des signes de détresse. Les demandes peuvent être accueillies tantôt avec enthousiasme et chaleur, tantôt avec colère ou indifférence. 

L’enfant prend un comportement de résistance où il est à la fois en colère, et à la recherche sa proximité.

  • En milieu scolaire :

"Je suis débordé par mes émotions et je n’arrive pas à me concentrer sur mes tâches scolaires. J’abandonne rapidement les exercices si je ne suis pas aidé. Si je ne suis pas sûr de la disponibilité de l'enseignant envers moi en cas de besoins, je me sens en concurrence avec les autres élèves de ma classe. Je vais chercher à avoir toute l’attention de mon enseignant. Je peux me montrer collant, et je change souvent d'humeur. Mes résultats scolaires dépendent de la capacité de l'enseignant à m’apaiser pour que j’investisse l'exercice proposé."

  • Ce modèle insécurisant ne me permet pas de me sentir calme et apaisé intérieurement.

 

4.   Désorganisé (environ 10%)

Cette dernière partie concerne des enfants qui n’ont pas réussi à mettre en place une stratégie d’attachement cohérente. L'enfant est totalement désorienté, il se fige lors du retour de la figure d'attachement en montrant appréhension, confusion voire dépression. L’enfant manifeste de la peur. Le parent peut être maltraitant. 

  • Ma représentation de moi et des autres en fonction de l'attachement désorganisé :

En tant qu'enfant je ne sais pas quoi faire car  je ne me sens pas en sécurité, ni lorsque je suis loin de ma figure d'attachement, ni lorsque je suis près d’elle. Je développe une mauvaise estime de moi. Je vis dans un contexte familial très défavorable. 

  • En milieu scolaire

"Je vais présenter des troubles comme l’impulsivité, l’instabilité psychomotrice, l’agressivité, l’opposition. Je suis dans des états nerveux que je n’arrive pas à maîtriser. J’ai du mal à accomplir des tâches d’apprentissage. Je me montre comme un grand perturbateur dans la classe. Je n’accorde aucune confiance à l’adulte. J’ai un déficit attentionnel important qui fait que la tâche scolaire n’est pas investie. Ici, la relation avec l’enseignant est parfois inexistante."

  • Ce modèle me rend vulnérable. J’ai du mal à réguler mes émotions, à entretenir de bonnes relations avec les autres et à élaborer une pensée claire sous l'effet du stress.

Chaque mode de fonctionnement est comme un mode automatique, inconscient qui a permis la survie de chaque individu, en fonction de son style d'attachement. 

 

Un attachement insecure impacte de façon négative la scolarité

Un attachement sécurisé développe de façon optimale le cerveau de l'enfant/adolescent, et plus particulièrement le néocortex, siège des fonctions exécutives supérieures (langage, raisonnement, mémoire de travail…) et de nos réponses émotionnelles (régulation de nos émotions, inhibition des impulsions...).

Un enfant/adolescent sécurisé se montrera sociable, empathique et manifestera une bonne estime de soi. Il deviendra autonome. Ce sera plus facile pour lui de gérer ses émotions et ses impulsions.

Un enfant/adolescent vivant un attachement insécure sera plus dans le retrait social, les plaintes somatiques, les comportements oppositionnels et agressifs. Ce sera moins facile pour lui de gérer ses émotions et ses impulsions.

Les enfants à l'attachement insécure ont tendance à être fermés à tout enseignement. Ils perçoivent le monde comme hostile puisque personne ne répond de façon adaptée à leurs émotions ou à leurs besoins lorsqu'ils sont en détresse. Ils ne sont donc pas disponibles psychiquement.

Ils vivent la classe comme un combat et n’ont aucun plaisir à l’explorer. Ils sont dans l'incapacité de nouer des relations sécurisantes avec leurs professeurs et leurs camarades de classe. 

Ils n’ont plus envie d'apprendre. Ils souffrent, se dévalorisent, développent de nombreux troubles du comportement comme l'agressivité (physique, verbale) ou des manifestations anxieuses ou dépressives : tout ceci n'est pas propice aux apprentissages.

Les effets perturbateurs des troubles affectifs des élèves sur leur vie mentale et leurs apprentissages sont bien connus des enseignants. Les élèves angoissés, déprimés ou furieux sont incapables d'apprendre et ceux qui s'enferment dans ces états émotifs n'enregistrent pas l'information ou n’en tirent pas le meilleur parti : le “cerveau émotionnel” prend le dessus sur le “cerveau pensant”. 

“En un sens, nous avons deux cerveaux, deux esprits et deux formes différentes d'intelligence : l'intelligence rationnelle et l'intelligence émotionnelle. La façon dont nous conduisons notre vie est déterminée par les deux, l'intelligence émotionnelle importe autant que le QI. En réalité, sans elle, l’intellect ne peut fonctionner convenablement.” ( Daniel Goleman, L'intelligence émotionnelle, analyser et contrôler ses sentiments et ses émotions, et ceux des autres)

Les modèles que nous avons intériorisés influencent donc considérablement nos fonctionnements émotionnels et affectifs, nos modes de pensée et de comportement, ainsi que nos modes relationnels, c'est-à-dire la manière dont nous tissons et cultivons des liens avec nos camarades de classe, nos amis, nos enseignants, et plus tard, nos partenaires amoureux.

Il faut savoir que tout n’est pas joué définitivement. La science et l'expérience montrent que nous pouvons transformer nos anciens modes de fonctionnement, grâce à l’auto-analyse, à une meilleure compréhension de nos liens d'attachement, et à la rencontre de personnes sécurisantes.

Bonne nouvelle n'est-ce pas ? 

 

Quel est le rôle de l'enseignant ?

En fonction de notre style d’attachement, en tant qu’adultes, nous pouvons être plus ou moins sensibles aux besoins d'attachement des enfants, ce qui a une influence sur les réponses apportées en favorisant ou non, le sentiment de sécurité émotionnelle de l'enfant. (Anne-Sophie Barbey-Mintz, (2015), L'attachement à l'école primaire)

“Les chercheurs en neurosciences affectives et sociales nous montrent que le cerveau de l'enfant a besoin de relations empathiques, soutenantes pour se développer de façon optimale.[...] Autrement dit, la maturation et le développement du cerveau dépendent non seulement de nos gènes mais aussi de notre environnement affectif et social”. (Catherine Gueguen, Heureux d'apprendre à l'école, comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l'éducation)

Lorsque l’enseignant développe une relation empathique cela a plusieurs bénéfices tant sur lui-même : il se sent plus compétent, et ressent du bien-être, que sur l’élève, qui est plus motivé, améliore ses résultats, est plus autonome, responsable et surtout, les comportements perturbateurs diminuent.

Le système actuel de l'Education Nationale français ne fournit pas les conditions nécessaires qui vont favoriser l'établissement de cette relation positive : classes de plus en plus surchargées, système de punition/récompense qui provoque du stress chez les élèves, la compétition (les notes)...

Malgré ces conditions défavorables, il est important que chaque professionnel de l'éducation comprenne l'importance qu'il a dans l'accompagnement des élèves.

 

Les adultes : de puissants modèles

Les adultes sont de puissants modèles pour les enfants/adolescents. La qualité de la relation qui se tisse entre un adulte et un enfant, est décisive pour ce dernier et son devenir. Elle est d’autant plus importante à l'adolescence, où les ados sont en pleine transformation.

Connaître les différents styles d'attachement et leur lien dans les relations inter-humaines, peut aider à comprendre en quoi cela peut-être difficile avec certains élèves. Les réponses apportées ont toujours une bonne intention. Cependant, ce n’est pas forcément ce dont ils ont besoin et de ce fait, les situations ne s'améliorent pas toujours. 

Les relations interpersonnelles sont complexes et, en plus des parents, d'autres adultes peuvent avoir un impact. Chaque personne vient avec sa propre histoire, son vécu et ses croyances concernant à la vie : cela ne veut pas dire que l'une est meilleure que l'autre. Il faut composer avec chaque individu là où il en est.

Avoir conscience de son propre attachement est un premier pas dans la conscience de soi sur laquelle repose l'empathie ; plus nous sommes sensibles à nos propres émotions, mieux nous réussissons à déchiffrer celles des autres et plus nous arrivons à comprendre l'autre, le rejoindre, et ainsi créer du lien.

L’empathie est le socle d’un attachement sécurisant, la condition même des relations saines et épanouissantes dans tous les domaines de notre vie. Avoir de l'empathie pour l’autre, c'est se soucier de lui. C’est aussi cette aptitude à éprouver de l’empathie, à se mettre à la place d’autrui qui conduit l'individu à respecter certains principes moraux.

Chacun d'entre nous se souvient de cet enseignant qui a porté un regard positif et encourageant sur nous, qui a cru en nous : cela peut changer fondamentalement la vie d'un élève. 

Au-delà du milieu scolaire, on peut voir quelles peuvent être les conséquences dans la société actuelle, entre autres, d’un manque d’empathie.

Il est fondamental de s'intéresser à ce que les professionnels de l'éducation peuvent faire,  à leur mesure, dans l'amélioration du bien-être des élèves à l'école car les élèves d'aujourd'hui seront les adultes de demain.

Tous les apports tels que le développement des Compétences psycho-sociales, la Discipline Positive, la Communication Non Violente...qui développent l'empathie, la connexion à l'autre, sont des moyens puissants pour favoriser des relations harmonieuses, indispensables à la vie en société.

Marie Laumuno