Quand la technologie génère une interférence dans la relation, on parle de technoférence.
Le terme a été créé en 2014 par Brandon Mc DANIEL, un chercheur en psychologie familiale du Centre Parkview de l’Université de l’Illinois, qui s’intéressait initialement aux nuisances des écrans sur les relations de couple. La technoférence désigne les « interruptions quotidiennes dans les interactions interpersonnelles ou dans le temps passé ensemble en raison des dispositifs technologiques, numériques et mobiles ».
Cette technoférence avait déjà été observée avec la télévision : allumée en arrière-plan elle semble agir sur le comportement de ceux qui sont dans la pièce. L’attention de l’enfant qui joue à côté est troublée [1], les contacts visuels et les interactions verbales se font plus rares. La télévision n’est pas un écran aussi passif que l’on imaginerait. A ce sujet, depuis 2018, les carnets de santé en France mentionnent ; « avant 3 ans, évitez de mettre votre enfant dans une pièce où la télévision est allumée même s’il ne la regarde pas ».
Bernard GEBEROWICZ [2], psychiatre et thérapeute familial évoque - sans le nommer à l’époque - le thème de technoférence conjugale, dès l’arrivée du premier enfant : « Quand bébé dort, insidieusement, le couple se retrouve chacun devant un écran, car ce sont les seuls moments de tranquillité ».
Il est facile de se faire happer par le besoin de détente et de déconnexion que procure instantanément un écran.
Si les jeunes parents n’y prennent garde, un cercle vicieux peut s’installer [3]. Pourquoi ? Parce que cela remplit une fonction : celle de répondre aux besoins de se détendre, de prendre du temps pour soi, de se déconnecter d’un quotidien contraignant, ou encore de rompre l’ennui... Le problème est systémique : il concerne le système familial dans son entièreté.
D’une technoférence conjugale, on peut ainsi glisser sournoisement vers une technoférence parentale. Avec les smartphones et les nouveaux écrans mobiles, nous n’accordons plus une présence aussi qualitative à l’autre. Absorbés dans notre portable, nous ignorons jusqu’à cinq fois plus les sollicitations de notre enfant évoluant sur une aire de jeux, que si nous étions distraits par autre chose (livre, discussion avec un ami, musique...) [4]
Bien que physiquement plus présents pour nos enfants, nous sommes néanmoins absents lorsque nous sommes accaparés par notre smartphone. Un coup d’œil rapide à son fil d’actualité Facebook, répondre hâtivement à un courriel ou checker une discussion sur un groupe WhatsApp peut sembler anodin, mais le (double) message que nous envoyons est « je suis là sans - tout à fait - être là »... et nos enfants apprennent cela en nous observant, grâce aux fameux neurones miroirs ! Le risque ? Que l’enfant se détache et se détourne de ces échanges où il est régulièrement prié d’attendre durant ces micro-ruptures relationnelles quotidiennes.
Le principal danger des écrans chez les enfants (et les futurs ados), serait l’usage qu’en font les adultes ! [5]
Plusieurs études se sont penchées sur les situations d’interactions-écrans (c’est-à-dire quand le parent n’est plus disponible pour son enfant et qu’il est concentré sur son téléphone). Quand le parent répond au téléphone durant une expérience d’apprentissage de mots, ce mot n’était pas appris [6]. Au cours de repas pris au restaurant, les relations familiales sont impactées par l’utilisation du portable [7], [8]. La technoférence pourrait également avoir un retentissement sur le bien être émotionnel des plus grands [9].
Plus inquiétant, pour les nourrissons, c’est le lien d’attachement qui serait concerné. Une maman addict à son téléphone produit de fait beaucoup d’interférences dans la relation, ce qui génèrerait des réactions de stress importantes chez le bébé de moins de 9 mois. Chez les plus de 9 mois, la régulation émotionnelle serait comparable à un bébé exposé à une mère dépressive [9].
Les prolongements de ces études ont précisé qu’une conséquence de l’indisponibilité du parent happé par son mobile, serait que les enfants seraient davantage susceptibles de développer des troubles du comportement. En toute logique, ces problèmes relationnels entraînent encore plus de stress chez le parent, qui recourt encore plus à la technologie comme échappatoire... et alimenterait ainsi un cercle vicieux, bien malgré lui [5]. Un bébé à besoins intenses (BABI), un enfant dit « zèbre », atypique, DYS quelque chose, TDA-H, etc, pourrait également être à l’origine d’une technoférence parentale, par besoin de répit, qui est contre-productive dans cette situation.
Etant communément admis qu’il vaut mieux vaut prévenir que guérir, (ré)adoptons de bons réflexes : le portable doit être retourné ou rangé en mode silencieux quand le bébé est éveillé, le repas doit se dérouler sans écran pour tous dans la famille, on préfèrera s’isoler pour consulter un mail urgent, et attendre que les enfants soient couchés pour vaquer à nos besoins numériques ! Chaque instant du quotidien à la maison, au parc ou au supermarché, sont des moments de vie et d’échange où notre rôle de parent est de rester disponible. Notre enfant a besoin de notre regard [10].
Quand l’enfant est en éveil, on met nos écrans en veille !
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[1] PEMPECK Tiffany A., Georgetown University, « The effects of background television on the toy play behavior of very young children », Journal Child Dev: 79 (4):1137-51, 2008. La TV allumée dans une pièce où joue l’enfant nuit à la construction de ses capacités d’attention et de concentration même s’il ne la regarde pas.
[2] GEBEROWICZ Bernard et BARROUX Colette, « Le baby clash : le couple à l’épreuve de l’enfant », Albin Michel, 2005 réédité en 2012.
[3] B. T. McDANIEL, A. M. GALOVAN, J. D. CRAVENS, et M. DROUIN, « “Technoference” and Implications for Mothers’ and Fathers’ Couple and Coparenting Relationship Quality », Comput Human Behav, vol. 80, p. 303‑313, mars 2018, doi: 10.1016/j.chb.2017.11.019.
[4] LEMISH D, ELIAS N, FLOEGEL D, “Look at me !” Parental use of mobile at the playground, MMC 2019; 1-18; doi:10.1177/2050157919846916.
[5] CLEMENT MN, « Les 0-6 ans et les écrans digitaux nomades : Evaluation de l’exposition et de ses effets à travers la littérature internationale », Neuropsychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Vol 68, Issue 4, p. 190-195, 2020.
[6] J. REED, K. Hirsh-Pasek, et R. M. Golinkoff, « Learning on hold: Cell phones sidetrack parentchild interactions. », Developmental Psychology, vol. 53, no 8, p. 1428‑1436, août 2017, doi: 10.1037/dev0000292.
[7] J. S. RADESKY et al., « Patterns of mobile device use by caregivers and children during meals in fast food restaurants », Pediatrics, vol. 133, no 4, p. e843-849, avr. 2014, doi: 10.1542/peds.2013-3703.
[8] A. KIEFNER-BURMEISTER, S. DOMOFF, et J. RADESKY, « Feeding in the Digital Age: An Observational Analysis of Mobile Device Use during Family Meals at Fast Food Restaurants in Italy », Int J Environ Res Public Health, vol. 17, no 17, août 2020, doi: 10.3390/ijerph17176077.
[9] McDANIEL BT, RADESKY JS, Technoference: Parent DistractionWith Technology and Associations With Child Behavior Problems, Child Development 2018 Janv/Feb; 89(1):100-109.
[10] Affiche disponible sur le site 3-6-9-12.org